Rappels sur les espaces au sens InDesign

Une espace est un caractère blanc susceptible de varier en largeur (chasse) en fonction de plusieurs paramètres : le caractère utilisé (évidemment), le corps et la fonte dans lesquels il est composé, le mode de justification de la ligne qui le contient, les valeurs d'intermots spécifiés par l'utilisateur, et même parfois le mode de crénage (optique vs métrique). C'est une combinaison de ces paramètres qui régit le comportement des espaces dans votre composition.

1) Rapport au cadratin
InDesign ne possède pas d'espace mesurée « dans l'absolu » comme il s'en employait dans la typographie au plomb. Par exemple, vous ne disposez pas d'un caractère dont la chasse serait figée à 1 point indépendamment du contexte. Au minimum, une espace dépend du corps dans lequel elle est composée (vulgairement la « taille » du caractère). Plus précisément, le corps nous indique la valeur du cadratin (en points) et la chasse d'une espace est en partie corrélée à cette valeur.

Note. — Observons en passant que si l'espace cadratin (v. infra) mesure toujours exactement un cadratin, il n'en va pas toujours de même du (prétendu) tiret cadratin, dont le glyphe et l'œil dépendent de la fonte utilisée. Ainsi, il est généralement inexact de supposer que, dans InDesign, l'espace cadratin chasse comme le tiret cadratin.

2) Justification
Un second paramètre crucial est la faculté, pour certaines espaces, d'augmenter ou de réduire leur chasse effective lorsqu'elles habitent une ligne justifiée. C'est singulièrement la propriété de l'espace mot usuelle (produite par la barre d'espace), qui pour cette raison est qualifiée de justifiante. Outre celle-ci, InDesign fournit une espace mot justifiante insécable, nommée « espace insécable » depuis CS3 : elle se comporte en tous points comme l'espace mot usuelle mais prohibe le saut de ligne.

Note. — Il n'existe pas d'autre espace justifiante, à l'exception peut-être de l'espace dite « sans alinéa », ou flush space, qui pourrait se décrire comme une espace insécable justifiante dégénérée en ce sens qu'elle creuse des trous béants dans les lignes justifiées. Cela étant, cette espace sans alinéa ne possède pas les autres propriétés métriques d'une espace mot, notamment la relativité aux valeurs d'intermots (v. ci-dessous).

Au chapitre des espaces mot, il reste à mentionner l'espace insécable non justifiante, dite « espace insécable (chasse fixe) » depuis CS3. Comme son nom l'indique, elle est insécable mais conserve toujours la chasse par défaut de l'espace mot. Elle est préconisée devant le deux-points.

3) Valeurs d'intermots
Précisons ce que nous appelons chasse par défaut. Cette valeur correspond visuellement à la largeur du blanc tel qu'il apparaît ou apparaîtrait dans une ligne non justifiée, et elle est calculée de la même façon pour les trois spécimens que nous avons décrits jusqu'ici sous le terme d'espace mot (espace usuelle, espace insécable justifiante, espace insécable fixe). InDesign s'appuie ici sur un paramètre défini par l'utilisateur au niveau du paragraphe, rubrique « Justification » : la valeur d'intermots optimum.

Fixé par défaut à 100 %, ce coefficient agit sur les espaces mot — et seulement elles ! — qu'elles soient en contexte justifié ou non justifié. La chasse par défaut qui en résulte est : opt × E, où opt désigne l'intermots optimum (ramené à l'unité) et E la mesure du caractère d'espace (U+0020) telle que fixée dans la fonte de travail. E se situe d'ordinaire au voisinage du quart de cadratin (c'est sa valeur exacte en Adobe Garamond), mais les créateurs de polices ont toute latitude de bousculer les usages.

Ainsi, en Garamond 12 réglé sur un intermots optimum de 100 % (= 1), la chasse par défaut de l'espace est de 1 × 12 / 4, soit 3 points. (Ce sera notamment la largeur effective de l'espace insécable fixe.) Dans le même corps, si vous hissez l'optimum à 125 %, la chasse par défaut passera à 1,25 × 3, soit 3,75 points. Autour de cette valeur de référence, les pourcentages « minimum » et « maximum » de l'intermots permettent alors de contrôler la plage de variation des espaces justifiantes, en collaboration avec les autres paramètres de justification, de composition et de césure que je ne détaille pas ici.

Note. — Les valeurs d’intermots sont comprises entre 0 % et 1 000 %. Dans la mesure où ce sont des attributs de paragraphe, pleinement « stylables », l'utilisateur dispose ici d'un bon régulateur de ses espaces mot, mais uniquement à l'échelon du paragraphe.

On retiendra donc que la valeur de référence des espaces mots est tributaire à la fois du corps, de l'intermots et de la police utilisée. Il n'en va pas de même des autres espèces d'espaces.

4) Espaces « inflexibles »
En dehors des trois espaces mot, InDesign offre une panoplie d'espaces dédiées à la typo d'orfèvrerie que nous qualifierons d'espaces inflexibles en ce sens qu'elles ne sont pas impactées par les valeurs d'intermots ni par la police de caractères. Il s'agit d'espaces insécables, non justifiantes, dont la chasse est strictement définie comme une fraction du corps :

Nom InDesign Unicode Chasse
Espace cadratin U+2003 (EM SPACE) K
Espace demi-cadratin U+2002 (EN SPACE) K/2
Tiers d'espace U+2004 THREE-PER-EM SPACE K/3
Quart d'espace U+2005 FOUR-PER-EM SPACE K/4
Sixième d'espace U+2006 SIX-PER-EM SPACE K/6
Espace fine U+2009 THIN SPACE K/8
Espace ultra-fine U+200A HAIR SPACE K/24

En corps 8 par exemple, la fine vaudra toujours 1 point et le quart d'espace toujours 2 points (ce qui en l'occurrence peut correspondre d'assez près à la chasse par défaut de l'espace mot, mais sans les impacts liés à la police ou aux valeurs d'intermots).

Un reproche communément exprimé à l'encontre des espaces inflexibles est… leur inflexibilité ! À savoir qu'il n'est pas possible de redéfinir directement leur chasse, ni de les rendre modérément justifiantes en ménageant une légère plage de variation autour de leur valeur de référence. (Quelques solutions sont proposées plus bas.)

5) Espaces adaptatives
InDesign offre enfin deux caractères très ciblés : l'espace dite « tabulaire » ou « lisible » (U+2007 FIGURE SPACE) et l'espace dite « de ponctuation » (U+2008 PUNCTUATION SPACE). La première, surtout employée pour aligner des chiffres dans un tableau, prend théoriquement la chasse d'un chiffre tabulaire dans la fonte et le corps courant, sous réserve que la fonte en question supporte la fonctionnalité OpenType « Chiffres alignés tabulaires ».

Note. — Par défaut il semblerait que la chasse du caractère 0 (zéro) soit attribuée à l'espace tabulaire. C'est du moins ce qui est indiqué dans un des fichiers de configuration fournis aux développeurs InDesign — cf. « TextChar.h » dans le SDK d'ID CS5.

De son côté, l'espace de ponctuation épouse automatiquement la chasse du point (ou parfois celle du point d'exclamation, voire du deux-points) dans la fonte et le corps courant. Cette correspondance connaît toutefois des exceptions, surtout avec les polices exotiques. Par ailleurs, des tests furtifs semblent indiquer que la chasse résultante est plus fiable lorsque le crénage optique est activé plutôt que le crénage métrique.

Personnaliser les espaces

Il est aisé de modifier la chasse des espaces « inflexibles » par le truchement d'un style de caractère. Par exemple, si l'ultra-fine ne vous convient pas à sa valeur infinitésimale de K/24, nul ne peut vous empêcher de lui appliquer une échelle horizontale de 200 %, ce qui la fera exactement chasser de K/12 :

Élargissement de l'espace ultra-fine via un style de caractère.

Ce style de caractère étant créé, il suffit de l'imposer à toutes les espaces ultra-fines (au sein d'un style de paragraphe) en formant une règle de style GREP :

Généralisation de la nouvelle chasse via un style GREP.

Notez qu'en appliquant un tel réglage au style racine [Paragraphe standard], le cas échéant sans aucun document ouvert, vous augmentez par défaut la portée de cette correction à tous les paragraphes à venir, voire à vos futurs documents, ce qui correspond pour ainsi dire à une redéfinition d'usine de l'espace ultra-fine.

Ce qui manque cependant à notre solution, c'est qu'elle ne permet pas de rendre relativement justifiante une espace inflexible. Par exemple, le maquettiste apprécierait de moduler la chasse de l'espace fine qu'il utilise au voisinage des guillemets de telle sorte que cette espace accepte de chasser « un chouia plus » dans le contexte d'une ligne justifiée, afin de favoriser une meilleure répartition des blancs. Mais nous nous heurtons ici à une limite profonde d'InDesign : tous ses caractères inflexibles sont intrinsèquement non justifiants. Par conséquent, contourner cet obstacle implique l'emploi déviant d'une espace mot justifiante, insécable de préférence, qui sera alors modulée par un style GREP dans les situations expressément visées par le maquettiste :

Modulation de l'espace insécable justifiante autour des guillemets.

La capture ci-dessus présente le résultat de ce petit bricolage. Comme vous l'apercevez, l'espace mot insécable justifiante a été débauchée de sa mission naturelle. On l'emploie dans le sillage des guillemets en lieu et place d'une espace fine (ou assimilée). Le bénéfice de cette opération est que si une ligne est outrageusement espacée sous l'effet de la justification, notre simulâcre d'espace fine tolère une légère élasticité. (Cliquez sur l'image pour analyser le phénomène.) Tout cela fonctionne bien sûr automatiquement :

• On fabrique tout d'abord un style de caractère EspaceGuillemets (30%) qui attribuera aux caractères cibles une largeur horizontale de 30 %. L'espace mot usuelle chassant environ à K/4 par défaut, une valeur de 50 % aurait été plus adéquate pour s'approcher de la largeur théorique de l'espace fine (K/8) : j'ai aggravé l'effet pour que le changement d'échelle de l'espace mot soit flagrant dans mon exemple.

• On crée ensuite deux règles de style GREP dans le style de paragraphe hôte. Le premier motif, (?<=«)~S, exploite un lookbehind positif pour capturer spécifiquement toute espace insécable justifiante (~S) suivant immédiatement un guillemet ouvrant. Le second motif, ~S(?=»), fait l'opération complémentaire grâce à un lookahead positif. Ces deux règles GREP appliquent alors le style EspaceGuillemets (30%) aux caractères cibles.

Un meilleur équilibrage des espaces.

Notez bien que l'ajustement obtenu vise exclusivement les espaces insécables conjointes aux guillemets. Les espaces insécables justifiantes que vous composerez dans d'autres contextes continueront de « fonctionner » normalement et ne seront pas affectées par le style GREP. Ainsi, la solution proposée ne vous confisque nullement l'usage de ce caractère.

Cette stratégie offre au typographe coupeur de cheveux en quatre la possibilité d'améliorer, sans trop de peine, l'équilibrage relatif de certaines espaces typographiques ciblées. Comme quoi InDesign n'est pas le mauvais bougre, même dans cette docte matière.

• Voir aussi : Table des caractères spéciaux d'InDesign depuis CS4